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2 février 2021 2 02 /02 /février /2021 15:11

La destruction d’un appareil auquel il tient est toujours dure à vivre pour un aéromodéliste, principalement lorsqu’il n’en connaît pas les causes. Cette connaissance des causes est d’autant plus importante qu’elle peut permettre d’éviter des accidents futurs, pour soi-même ou pour les autres.

D’où la tentation d’appliquer à un crash de modèle réduit une méthode utilisée en aéronautique grandeur : la « Méthode du fromage suisse » (« Swiss Cheese Model » dans sa version originale).

Le Swiss Cheese Model, malgré sa dénomination qui peut sembler farfelue, est au contraire une méthode de gestion des risques très sérieuse, bien éloignée de la fameuse « Loi de l’emm... maximum » qui fait florès chez les modélistes.

Cette méthode a été imaginée au début des années 1990 par James REASON, docteur en psychologie de l’université de Manchester pour aider à comprendre pourquoi les accidents surviennent et pour mettre l’accent sur les relations de cause à effet. C’est une méthode qui ne s’attache pas uniquement aux circonstance d’un accident, mais qui va examiner précisément les causes de celui-ci pour permettre d’éviter les accidents futurs ou au moins d’en atténuer les effets.

Pour illustrer sa méthode, Reason compare les « niveaux de défense » (barrières, sécurités, …) à des « tranches » d’emmenthal où les « trous » représentent les failles.

Les niveaux de défense peuvent être variables selon les disciplines envisagées (aéronautique, nucléaire, santé, etc.), avec cependant des « tranches d’emmenthal » communes :

- défenses technologiques ;

- sécurités liées aux acteurs ;

- barrières liées aux procédures ;

- etc.

Cela peut se traduire par le schéma ci-dessous :

L’idée de Reason, c’est que si l’ensemble des tranches de fromage (les niveaux de défense) présentent des trous alignés (les failles), alors on n’échappe pas à l’accident.

Pratiquement, et pour ce qui concerne l’aéromodélisme, on peut schématiser le modèle suivant :

Il s’agit là d’une version volontairement très simplifiée du SCM, néanmoins suffisante pour s’adapter à notre discipline.

Une application pratique : le crash du SMARAGD (avion de F3A)

Circonstances du crash :

Entraînement voltige d’un pilote confirmé. Suite à un déclenché, rupture de l’aile en vol.

Le SCM va nous permettre d’analyser le crash du SMARAGD et d’en tirer des conclusions pour envisager les avions futurs et leurs évolution avec sérénité.

Commençons par lister les facteurs possibles concernant les barrières de défense (la liste n’est pas exhaustive et ne prend en compte que les informations contenues dans les posts précédents) :

Facteurs technologiques :

- Le SMARAGD victime du crash était un modèle « âgé » (16 ans) et donc dont les matériaux ont vieilli, en particulier les différentes colles et résines ;

- Il s’agissait d’un modèle de voltige dont la structure a été fortement sollicitée (et à de nombreuses reprises) au cours de sa période d’utilisation ;

- Le SMARAGD est un modèle à aile démontable en deux parties, clé d’aile en tube carbone, fourreaux collés directement dans le polystyrène ;

- Les modèles réduits sont souvent (mais de moins en moins) conçus de manière empirique si on les compare avec des modèles « grandeur » ;

- …

Facteurs environnementaux :

- Vol sur la piste du club (piste en dur) ;

- Vol le samedi 2 janvier 2021, température froide (maxi 5°C à 16h00), air sec (humidité 62 % à 16h00) ;

- Lorsque la température est basse, certaines colles ou résines deviennent cassantes ;

- ...

Facteurs procéduraux :

- Visite prévol effectuée (pas d’anomalie visuellement détectée) ;

- A contrario des aéronefs « grandeur », les aéromodèles ne subissent pas des visites de sécurité régulières (imaginez une « grande visite » sur un aéromodèle avec démontage complet et désentoilage!) ;

- Procédure de vol et évolutions dans l’espace réservé respectés à la lettre ;

- Le programme voltige exécuté comportait un déclenché ;

- Les tonneaux déclenchés sont des figures fatigantes pour le pilote et surtout pour la machine. Des facteurs de charges locaux élevés peuvent être atteints. Les déclenchés induisent des efforts importants en torsion du fuselage comme de l’aile, laquelle est de surcroît particulièrement sollicitée au niveau de l’emplanture. Le fait que l’air soit froid et donc plus dense ne fait qu’accentuer les contraintes sur l’aile. Il faut rappeler que, dans l'histoire de l'aviation, de nombreux appareils (grandeur ou modèles réduits) ont été détruits ou endommagés en vol en exécutant des déclenchés.

- …

Facteurs humains :

Le Dr Reason admet comme préalable que les erreurs humaines sont inévitables (même si on peut les réduire par la formation, l’éducation, l’expérience). Il est cependant évident que le pilote expérimenté est plus « fiable » que le pilote inexpérimenté. En l’occurrence, le pilote est très expérimenté. Il reste cependant possible qu’il puisse commettre une erreur, ne serait-ce qu’au niveau de la prise de décision :

D’après l’analyse (sommaire, je vous le concède) qui précède, le crash était donc « inévitable ». Il aurait suffi qu’un seul facteur de risque soit éliminé pour qu’il ne se produise pas. Il est probable qu’un vol par temps moins froid n’aurait pas abouti à l’accident. Id. Pour un vol sans déclenché, une conception de l’aile différente, etc.

À noter également que le strict respect des règles de sécurité concernant la police du vol a permis d’éliminer tout risque de « suraccident ».

Voici donc le résultat de mes élucubrations aéromodélistes qui pourra peut-être nous permettre d’améliorer un peu plus la conception de nos modèles et la prévention des accidents.

Mais alors, en quoi la pandémie de COVID 19 est-elle concernée par la "Méthode du fromage suisse" ?

Le SCM, comme je l’ai indiqué plus haut, est avec bonheur utilisé dans d’autres domaines, dont celui de la santé.

C’est dans ce cadre que le Pr Ian McKAY, néozélandais enseignant à l’université de Queensland en Australie a proposé le modèle illustré ci-dessous, SCM appliqué à la pandémie de Covid :

Ce schéma se suffit à lui-même pour nous convaincre d’adapter notre comportement à la situation, c’est-à-dire de respecter les gestes barrières,de respecter les consignes, de nous faire vacciner et… de ne pas céder aux chants des sirènes...

Pour ceux que cela intéresse, voici le lien vers une étude sur le modèle du fromage suisse effectuée par deux élèves de l’École des Mines de Paris :

https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-01097470/document

et un autre vers le site du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses de la DGAC qui utilise cette méthode :

https://www.bea.aero/

(La lecture du rapport final consacré à chaque incident ou accident montre le sérieux des procédures utilisées et des analyses qui les concluent)

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